Densification douce, un remède à la crise du logement ?

La crise du logement en France n’a jamais été aussi aiguë. Entre pénurie de logements, flambée des prix et sous-occupation des habitations, des milliers de familles se retrouvent dans une précarité extrême, certaines contraintes de vivre dans leur voiture ! Face à cette réalité accablante, une solution fait débat : la densification douce. Le concept, proposé notamment par l’entreprise Villes Vivantes, consiste à autoriser la construction de maisons dans les jardins des zones pavillonnaires, ou à diviser les terrains constructibles existants. Une piste prometteuse sur le papier, mais l’idée ne fait pas l’unanimité, et divise profondément élus, riverains et experts. Décryptage avec Résidence Rooftop Antony par Cibex Pierre Étoile.

3 700 maisons en jeu chaque année

L’entreprise Villes Vivantes a mené une étude précise sur 40 communes d’Île-de-France, situées à moins de 40 minutes de Paris en transport en commun. Selon ses calculs, près de 3 700 maisons supplémentaires pourraient être construites chaque année grâce à la densification douce, soit une augmentation de 50 % par rapport à la production annuelle actuelle de ces communes, estimée à 7.400 logements.

Pourtant, ce potentiel reste largement inexploité. La raison ? Certaines communes verrouillent littéralement leurs quartiers pavillonnaires grâce à des règles d’urbanisme strictes. Rosny-sous-Bois, par exemple, assume pleinement ce choix : le maire y a réduit les constructions de 66 % et interdit désormais toute nouvelle maison, à l’exception des annexes comme les abris de jardin. Une politique qui illustre une tendance plus large à geler les opportunités de construction

Grand Paris Express, un levier sous-exploité

Le paradoxe est encore plus frappant lorsque l’on observe que plusieurs de ces communes bénéficieront prochainement du Grand Paris Express, un projet colossal censé rapprocher la périphérie de la capitale. David Miet, cofondateur de Villes Vivantes, s’interroge sur cette contradiction : « Ces villes, qui profitent d’investissements nationaux et régionaux, ont-elles le droit de refuser d’accueillir de nouveaux habitants ? » Pour lui, ce blocage contribue à repousser les populations les plus modestes toujours plus loin des bassins d’emploi. Une logique d’exclusion territoriale, alors même que ces territoires disposent déjà des infrastructures nécessaires pour accueillir de nouvelles constructions.

Densification douce ? Les riverains disent non !

La densification douce bute souvent sur une opposition frontale des habitants des zones pavillonnaires, car dans ces quartiers où la tranquillité prime, l’arrivée de nouvelles constructions est perçue comme une menace pour la qualité de vie. Damien Delaville, urbaniste à l’Institut Paris Région, explique que ces réticences sont alimentées par un attachement particulier à l’espace privé, différent de celui des résidents en habitat collectif. A cela s’ajoutent des traumatismes liés à d’anciens projets immobiliers jugés mal conçus ou envahissants. « Les gens ont peur de voir leur cadre de vie se dégrader », analyse David Miet.

Ce dernier évoque également une tendance sociale qu’il qualifie de « fermeture de la porte derrière soi » : certains habitants, après avoir obtenu un cadre de vie agréable, refusent d’en partager les bénéfices avec de nouveaux arrivants. Ce sentiment, renforcé à l’approche des élections municipales, pousse de nombreux élus à ralentir les projets de densification pour satisfaire leurs administrés.

Une équation complexe entre logements, voitures et services publics

Construire plus, c’est aussi augmenter la pression sur les infrastructures locales. Ecoles, crèches et équipements sportifs sont déjà souvent saturés. Philippe Laurent, maire de Sceaux et secrétaire général de l’Association des maires de France, note que les craintes liées à ces services sont devenues un frein majeur à l’acceptation de nouveaux habitants.

Un autre problème vient de la circulation. Les zones pavillonnaires, conçues à une époque où les ménages possédaient moins de voitures, peinent à absorber l’augmentation du parc automobile. Depuis 40 ans, le taux de motorisation des foyers n’a cessé de grimper. Comme le souligne l’Institut Paris Région, certains quartiers ne peuvent tout simplement pas supporter un afflux massif de véhicules.

Jardins ou logements, un dilemme environnemental

Construire dans les jardins, cela revient aussi à réduire les espaces verts urbains, considérés comme essentiels pour la biodiversité et la lutte contre les îlots de chaleur. Sans surprise, l’argument est souvent avancé par les maires opposés à la densification douce. Stéphane Raffalli, maire de Ris-Orangis, prône une gestion écologique des jardins, en structurant des corridors de biodiversité pour préserver les espèces locales.

David Miet, de Villes Vivantes, nuance toutefois l’idée selon laquelle tous les jardins contribuent significativement à la biodiversité, et rappelle que nombre d’entre eux sont aujourd’hui réduits à de simples pelouses : « Beaucoup de grands jardins privés sont transformés en pelouses bien taillées, peu riches en intensité végétale », souligne-t-il. Pour lui, la question n’est pas tant la surface des jardins que leur gestion écologique, qui passe par l’intégration de solutions durables dès la conception des projets.

Un logement sur quatre sous-occupé en Île-de-France

Non, la crise du logement ne se limite pas à un manque de nouvelles constructions… En Île-de-France, 28 % des logements sont sous-occupés, selon l’Insee. Or, ces habitations, souvent de grandes maisons occupées par des retraités seuls ou en couple, pourraient être mieux utilisées grâce à des solutions comme le co-living ou la division en plusieurs unités. Par ailleurs, la région compte 400 000 logements vacants et 5 millions de mètres carrés de bureaux inutilisés, qui pourraient être réhabilités pour accueillir des familles. Pour Damien Delaville, la priorité doit être de mobiliser l’existant avant de s’engager dans de nouvelles constructions.

Une chose est sûre, pour résoudre la crise du logement, aucune solution unique ne suffira. La densification douce, bien encadrée, pourrait permettre de créer des logements dans des zones stratégiques sans bouleverser l’équilibre des quartiers pavillonnaires. Cela suppose toutefois de dépasser les blocages systématiques et de prendre en compte les spécificités locales : disponibilité des friches, capacité des services publics et organisation de la circulation.

Il est donc essentiel d’évaluer précisément chaque projet pour anticiper ses impacts. La division parcellaire, par exemple, pourrait être encadrée afin d’assurer un équilibre entre l’accueil de nouveaux habitants et la préservation du cadre de vie local.

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