Bhopal : un convoi sous tension pour éliminer l’héritage toxique

Quarante ans après l’une des pires tragédies industrielles de l’histoire, l’Inde s’attaque enfin à un problème resté à l’état de plaie ouverte : les déchets toxiques laissés par la catastrophe de Bhopal. Ce jeudi, des centaines de tonnes de matières hautement dangereuses ont commencé à être transportées vers un site spécialisé, à 225 kilomètres de la ville sinistrée. Une opération sous haute tension, mais qui fait aussi émerger de nombreuses questions sur la gestion de ces déchets toxiques qui sont la cause d’une crise écologique majeure. Le point sur le sujet avec Jean Fixot de Chimirec !

Une logistique sous pression

Mercredi soir, une dizaine de camions ont pris la route sous escorte policière pour déplacer près de 337 tonnes de déchets toxiques. Selon Swatantra Kumar Singh, directeur du département local de gestion des conséquences de la catastrophe, ces transferts suivent « le protocole de sécurité le plus strict jamais appliqué en Inde pour des déchets industriels ». Ces matières, soigneusement scellées dans des conteneurs, doivent être incinérées sur le site de Pithampur.

L’opération intervient après une injonction de la haute cour de l’Etat du Madhya Pradesh, qui avait critiqué l’immobilisme des autorités. Le juge Suresh Kumar Kait n’avait pas caché son exaspération : « Attendez-vous une nouvelle tragédie ? » Une réaction cinglante, mais révélatrice d’une situation restée trop longtemps sans solution concrète.

L’empreinte indélébile de la catastrophe

Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, une fuite de 27 tonnes d’isocyanate de méthyle, un composé utilisé dans la fabrication de pesticides, avait plongé Bhopal dans l’horreur. Le gaz toxique, libéré par l’usine du groupe américain Union Carbide, avait tué près de 3 500 personnes en trois jours. Les conséquences, elles, sont encore plus écrasantes : environ 25 000 morts au fil des années et des dizaines de milliers de vies marquées par des maladies chroniques et des malformations congénitales.

Les eaux souterraines de la région, fortement contaminées, présentent encore des niveaux de substances cancérigènes jusqu’à 50 fois supérieurs aux normes de l’Agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA). Ce cocktail chimique empoisonne toujours les riverains, illustrant à quel point l’héritage toxique de cette catastrophe reste vivace.

Un chantier titanesque et une mémoire collective

Si le transport des déchets marque une étape importante, il soulève également son lot d’interrogations… Pourquoi avoir attendu quatre décennies pour agir ? Les populations locales, victimes directes de cette inaction, expriment leur colère face à une indifférence institutionnelle qui les a condamnés à vivre dans un environnement toxique. C’est le cas de le dire, l’opération en question montre que le chemin vers une réhabilitation totale est encore long. Toutefois, elle réaffirme aussi l’urgence d’un devoir de mémoire et d’une mobilisation pour que de telles tragédies ne se reproduisent jamais.

Bhopal : retour sur une usine devenue symbole de drame

En 1978, Union Carbide installe une usine à Bhopal avec de grandes ambitions. Produire le Sevin, un puissant insecticide, devait répondre aux besoins agricoles croissants dans un contexte de « révolution verte ». Mais dès 1982, les ventes dégringolent, les comptes sombrent, et la sécurité passe à la trappe. Les alarmes ne sont plus entretenues, les réservoirs fuient, et personne n’imagine que la bombe à retardement est sur le point d’exploser.

La nuit du 2 au 3 décembre 1984, 40 tonnes d’isocyanate de méthyle s’échappent. Un nuage toxique étouffe d’abord les bidonvilles autour de l’usine, puis s’étend sur 25 km². La panique est totale, les gens fuient à l’aveugle, respirant un gaz qui détruit yeux, poumons et peau. Officiellement, 8 000 morts en quelques heures, 6 000 de plus les jours suivants. Mais qui peut croire ces chiffres quand on voit les médecins débordés et les cadavres entassés ? Quarante ans plus tard, le bilan est encore plus amer : malformations, mortalité infantile triplée, terres polluées, nappes phréatiques imbuvables. L’usine est à l’abandon, les promesses de dépollution restent des mots. Dow Chemical, qui a racheté Union Carbide, refuse toujours d’assumer ses responsabilités.

 

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