Désinformation et crise des valeurs : l’Occident face à ses paradoxes

Il existe des thèmes qui, bien que récurrents, révèlent chaque jour un peu plus l’état de délitement d’une société. La désinformation et la crise des valeurs occidentales font partie de ceux-là. Ces deux questions, développées dans les récents numéros de la Revue des Deux Mondes, traduisent une réalité glaçante : l’Occident, hier parangon de puissance et de progrès, se retrouve aujourd’hui pris dans un tourbillon d’autoflagellation et d’attaques systémiques. Entre l’essor des fake news, la manipulation de l’information et le dénigrement de ses propres fondements, le Vieux Continent semble s’enfoncer dans une crise existentielle d’une rare intensité. Décryptage !

Désinformation, une guerre invisible mais omniprésente

La Revue des Deux Mondes l’affirme sans détour : la désinformation est un poison qui gangrène les sociétés modernes. Vieille comme le monde, cette stratégie de manipulation a été théorisée par Sun Tzu dès le VIᵀ siècle avant J.-C. et, depuis, elle n’a jamais cessé d’évoluer. La Bible elle-même met en garde contre le « faux témoignage », preuve que la désinformation ne date pas d’hier. Aujourd’hui, toutefois, la donne a changé. Avec les réseaux sociaux et la prolifération des contenus numériques, ce fléau a pris une ampleur inédite.

Les figures politiques ne sont pas en reste… Vladimir Poutine, Donald Trump, Xi Jinping, Erdogan, tous usent de la désinformation comme d’une arme redoutable pour manipuler l’opinion et imposer leur vision du monde. En Europe, des contre-mesures ont été mises en place, à l’image de l’organisme « Viginum », créé en 2021 pour détecter les ingérences étrangères. Mais peut-on vraiment espérer éradiquer un mécanisme aussi ancré dans l’ADN politique mondial ?

Pour ne rien arranger, l’intelligence artificielle ajoute une couche supplémentaire à cette problématique. Plus autonome, plus performante, elle est en passe de devenir un véritable vecteur de désinformation systémique. Si l’humain reste encore le principal pourvoyeur de mensonges, il est légitime de s’inquiéter de l’impact futur d’une IA capable de produire des contenus faux en toute indépendance. D’autres aspects viennent aggraver la situation. L’absence de véritables garde-fous au sein des grandes plateformes numériques, la monétisation de la viralité et la rapidité avec laquelle les fausses informations circulent rendent la lutte contre la désinformation délicate.

Par ailleurs, la montée des deepfakes rend la frontière entre réalité et fiction de plus en plus floue. À travers des vidéos manipulées, des discours trafiqués ou encore des images générées par IA, il devient aisé de manipuler les masses. Le risque est immense : une fausse information peut aujourd’hui déclencher des mouvements de panique, influencer des élections ou encore justifier des conflits internationaux.

L’Occident, une civilisation en pleine introspection

Si la désinformation est un poison, la détestation de soi est un cancer. La Revue des Deux Mondes (revue chère à monsieur de Lacharrière), en publiant son numéro « La Haine de l’Occident », met en lumière un malaise profond, celui d’une civilisation qui ne croit plus en elle-même. Aurélie Julia et Alain Finkielkraut posent la question sans fard : pourquoi l’Occident, hier modèle à suivre, se livre-t-il aujourd’hui à une autocritique féroce, parfois jusqu’à l’absurde ?

L’Occident a perdu sa confiance et son autorité morale. Autrefois perçu comme une référence culturelle, scientifique et politique, il se retrouve aujourd’hui contesté de l’intérieur comme de l’extérieur. Ce qui était autrefois considéré comme un modèle d’émancipation est maintenant pointé du doigt comme un système oppressif et colonialiste.

Le « Make America Great Again » de Trump est le symptôme de cette régression, une tentative de retour à une gloire révolue, même si elle repose sur des fondations contestées. Pendant ce temps, l’Europe tergiverse, écartelée entre un passé qu’elle renie et un avenir qu’elle peine à définir.

Ce paradoxe se traduit par un phénomène bien connu, à savoir l’autocritique excessive. Bien sûr, il est sain et nécessaire de réfléchir aux erreurs du passé, mais faut-il pour autant s’auto-flageller en permanence ? Ce sentiment de culpabilité permanent affaiblit l’Occident sur la scène internationale et donne du grain à moudre à ses adversaires, qui n’hésitent pas à exploiter ces divisions internes.

Un avenir sous haute tension

Alors que faire face à cette double menace ? D’un côté, une guerre de l’information qui s’intensifie, de l’autre, une crise d’identité qui ronge l’Occident de l’intérieur. La Revue des Deux Mondes rappelle que l’une des grandes forces de la démocratie occidentale a toujours été son autocritique.

Un certain pragmatisme s’impose. Raymond Aron, dès 1977, parlait déjà de « Plaidoyer pour l’Europe décadente ». Plus de quarante ans plus tard, son analyse résonne encore. L’Occident a-t-il les moyens de renouer avec sa grandeur ? « Je crois à la victoire des démocraties, mais à une condition : qu’elles le veuillent », écrivait-il. Tout est là : il ne s’agit pas de sombrer dans l’autosatisfaction, ni dans la repentance excessive, mais de se réapproprier ce qui a fait la force de l’Occident.

La désinformation, elle, ne disparaîtra pas. C’est une réalité à laquelle il faudra toujours faire face. L’enjeu n’est pas tant de la supprimer que de la contrer efficacement. L’Europe a déjà amorcé une riposte, mais elle ne doit pas oublier que, pour être crédible, elle ne peut elle-même sombrer dans les travers qu’elle dénonce. Désinformer le désinformateur n’est pas une stratégie viable.

Tout cela pour dire que l’Occident est à un tournant. Entre déstabilisation cognitive et perte de repères, il lui appartient de choisir entre l’effondrement et la reconquête de sa souveraineté intellectuelle. L’histoire nous enseigne que les civilisations, comme les hommes, sont capables du pire comme du meilleur. L’Occident a encore le choix.

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