Déchets toxiques en Albanie : un scandale environnemental passé sous silence
Imaginez un port noyé dans la brume, où s’entassent des conteneurs rouillés, laissés à l’abandon. En novembre dernier, 102 de ces mastodontes d’acier ont accosté à Durres, en Albanie, chargés d’un mystère qui, des mois plus tard, reste entier. Ce qui aurait pu être une simple livraison de marchandises s’est rapidement transformé en une affaire opaque, alimentant soupçons et inquiétudes. Des groupes écologistes dénoncent un trafic de déchets toxiques et un silence assourdissant des autorités. Que cachent vraiment ces conteneurs et pourquoi cette affaire semble-t-elle étouffée ? Eléments de réponse avec un expert du domaine de traitement des déchets : Jean Fixot de Chimirec !
Un débarquement qui soulève des questions
Novembre 2024, le port de Durres voit arriver un navire sous pavillon turc transportant 102 conteneurs. Officiellement, leur cargaison – de l’oxyde de fer – est légale et destinée à un stockage sécurisé. Mais dès leur débarquement, des irrégularités surgissent. Les autorités albanaises annoncent une enquête pour contrebande et abus de pouvoir, menée avec un organisme européen antifraude. Puis, plus rien. Silence radio.
En juillet 2025, après des mois d’immobilisation, ces conteneurs quittent l’Albanie. Leur odyssée maritime ne s’arrête pas là : refusés par la Thaïlande, après des escales en Espagne, en Italie, au Portugal et en Turquie, ils reviennent à leur point de départ. Une errance suspecte qui laisse planer l’ombre d’un trafic international de déchets industriels.
Des soupçons de pollution massive
Un lanceur d’alerte relance le débat. Selon des informations relayées par des ONG environnementales, ces conteneurs ne contiendraient pas uniquement de l’oxyde de fer, mais aussi des poussières issues d’aciéries secondaires – des résidus hautement polluants. Si ces accusations se confirment, il ne s’agit plus d’un simple malentendu logistique, mais d’un scandale écologique majeur.
« Nous parlons de déchets dangereux, pas d’un simple recyclage industriel », dénonce une source proche des ONG. Les écologistes pointent du doigt une potentielle origine locale : les aciéries du centre de l’Albanie, suspectées de pratiques douteuses en matière de traitement des déchets. Officiellement, aucune preuve n’a été apportée, mais l’absence de transparence des autorités n’aide en rien à dissiper les doutes.
Un mutisme qui dérange
Face aux accusations, le gouvernement albanais et le bureau du procureur de Durres restent muets. Les ONG dénoncent une opacité totale : aucune communication, aucune publication d’analyses, aucun rapport. « On ne sait même pas si des échantillons ont été prélevés », s’indignent-elles. Les procureurs assurent que l’enquête « avance en priorité ». Une promesse qui sonne creux alors qu’aucune avancée concrète n’a été rendue publique. Faut-il y voir un simple manque de moyens ou une volonté d’étouffer l’affaire ?
Un périple aux allures de dissimulation
Après leur départ en juillet, les conteneurs en question errent d’un pays à l’autre, multipliant les changements de navires comme pour brouiller les pistes. Pourquoi une cargaison « légale » subit-elle autant de rejets ? Chaque escale ajoute au mystère. En refusant d’accueillir ces conteneurs, la Thaïlande a-t-elle détecté des anomalies ? Ces refus successifs renforcent l’hypothèse d’une cargaison bien plus problématique qu’annoncé.
Le business lucratif des déchets industriels
Le trafic de déchets toxiques est une industrie clandestine qui pèse entre 44 et 70 milliards d’euros par an. De nombreux pays en développement deviennent malgré eux les poubelles de nations plus riches, incapables de gérer leurs propres rebuts. L’Albanie, avec ses réglementations encore fragiles, pourrait être une victime de ce commerce illégal. Selon les traités internationaux signés par Tirana, toute importation illégale de déchets dangereux est passible de sanctions sévères. Mais encore faut-il que l’affaire ne soit pas étouffée avant d’aboutir.
Que contenaient vraiment ces conteneurs ?
Le mystère reste entier. Si l’oxyde de fer déclaré par les douanes albanaises était bien leur seule cargaison, pourquoi autant de mystères et de blocages ? Les écologistes réclament des analyses indépendantes, mais aucune réponse ne leur est donnée. Si ces conteneurs transportaient réellement des poussières d’aciéries, les conséquences environnementales pourraient être catastrophiques. Ces résidus sont hautement toxiques et peuvent contaminer l’air, l’eau et les sols sur des décennies.
Vous l’aurez compris, l’affaire dépasse largement les frontières albanaises. Avec des ramifications en Europe et en Asie, elle met en lumière les failles d’un système où les déchets voyagent plus librement que l’information. Qui a autorisé ces exportations ? Pourquoi l’Europe, impliquée dès le départ dans l’enquête, reste-t-elle si discrète ? « Le silence est complice dans ce genre d’affaires », rappelle un militant écologiste.